Depuis mes tous premiers voyages, j’ai toujours été épatée par le pouvoir personnel qu’on y gagne.
En y réfléchissant, je peux considérer que j’ai accompli mon premier « vrai » voyage à huit ans, avec ma sœur. Je ne le savais pas encore, mais c’est là que j’ai découvert le concept de pouvoir personnel.Merci Mémé.
Nos parents nous avaient laissées un mois chez mon arrière-grand-mère, dans un minuscule bourg en Centre Bretagne. Elle parlait breton avec ses copines paysannes, mangeait des pommes de terre au lard trempées dans un grand bol de lait ribot. Dans sa cuisine, à côté de la gazinière moderne, il y avait un poêle à charbon qu’elle préférait utiliser pour mitonner ses plats. L’hiver elle y plaçait des briques, qu’elle enveloppait de papier journal après, et qu’elle glissait dans son lit, au niveau des pieds, en se couchant. Elle disposait du chauffage, mais elle avait gardé cette habitude de son enfance pour se réchauffer la nuit.
Mémé nous laissait vadrouiller dans la campagne toute la journée, il suffisait qu’on soit à l’heure pour les repas. Nous passions nos journées, Steph et moi, avec les enfants du voisinage, à construire des cabanes, jouer à Tarzan en décrétant que les branches de saules pleureurs était des lianes. J’avoue qu’on en a massacré un, tout plumé au bout d’un après-midi à supporter nos AAAAAyayaaaaaa ! Plusieurs années après, quelques-uns de ses rameaux restaient encore desséchés. On allait patauger au petit lavoir, chaparder des cerises, observer les vaches.
Les jours de pluie on s’ennuyait devant la télé en se gavant de bonbons sous les crucifix en bois noirs disséminés dans toutes les pièces.
Le chat avait le droit de dormir avec nous. D’ailleurs le lit…ah le lit : haut et grinçant comme dans le conte de la Princesse au Petit Pois, surmonté d’un édredon de plumes, rose délavé, aussi joufflu qu’un ballon de baudruche. On grimpait sur le matelas, au pied de l’édredon, et on se laissait tomber avec délice dans le chamallow géant. On contemplait cinq minutes le plafond, bras en croix, en extase, et on se relevait prestement, appelées par l’urgence d’autres aventures.
Autant dire que Steph et moi, petites citadines élevées comme des plantes d’intérieur, nous sentions dans un autre pays. A seulement une heure et demie de voiture du domicile parental, mais pour nous c’était comme l’autre bout du monde. Nous qui devions habituellement rester parquées dans le jardin, nous découvrions les grands espaces. Sans clôture, sans parent, sans surveillance. Bien sûr, nous avons fait des bêtises. Cassé des vitres en jouant au ballon, failli se blesser en tombant d’un arbre, fichu en l’air des vélos. On s’est chamaillé avec les autres, aussi.
Justement. Cette liberté nous a appris à nous débrouiller en dehors des repères habituels.
Pas de maman à appeler à la rescousse. Mémé, c’était une dure, elle avait connu les deux guerres. « Débrouillez-vous avec vos histoires, j’veux pas l’ savoir ! », qu’elle nous disait. Alors on se débrouillait. Et on s’est aperçu qu’on y arrivait bien. Etre ailleurs, loin du confinement habituel, nous mettait ailleurs mentalement. Oubliées, les règles d’obéissance. L’obligation d’être sage, silencieux, docile. Ça, c’était pour la ville, avec les parents. Chez Mémé, on pouvait être vraiment nous.
Alors si un garçon se moquait de toi, tu lui filais un coup de pieds, il te scotchait au mur, tu lui crachais à la figure. Le lendemain il te proposait d’être dans sa bande. Tu grimpais en haut de chênes centenaires, tu allais tout au bout d’une grosse branche et tu trouvais génial de te laisser bercer à huit mètres du sol. Ton pneu de vélo perçait, et tu réussissais toute seule à le réparer. Avec les autres, tu explorais les coins et les recoins du bled, et vous en connaissiez toutes les ressources. Où s’abriter en cas de pluie, où se baigner tranquille. Où choper des framboises, où cacher son vélo. Tout ce qu’il y a besoin de savoir à huit ans, dans un trou perdu de Bretagne.
A la fin de ce mois exotique, Steph et moi sommes rentrées le pas décontracté et le regard tranquille.
Nos allures de mini reines flegmatiques agaçaient nos parents sans qu’ils ne comprennent pourquoi. Eux qui nous éduquaient à la soumission, voilà qu’ils récupéraient des êtres sereins et forts. Ils appelaient ça de l’insolence. Alors qu’on avait juste arrêté de pleurer lorsqu’ils nous grondaient. La peur de l’abandon nous avait définitivement quittées, grâce à ces vacances qui nous avaient appris qu’on pouvait se débrouiller sans adulte. Pour résumer, on n’avait plus peur de rien. Merci Mémé.
Mais comme on aimait nos parents, on a gardé pour nous notre assurance nouvelle. Sauf parfois, quand on estimait qu’ils abusaient. On se servait de notre pouvoir personnel pour résister. Tels les roseaux, même si parfois nous avons plié au nom de l’affection, jamais nous n’avons rompu avec nos convictions profondes.
Quel rapport entre mémé, les voyages et le pouvoir personnel ? Me demanderez-vous.
Les voyages sont une manière de réactiver ce qui s’est accompli lors de mon séjour chez mémé.
Loin de mes repères, je suis déconditionnée de mes réflexes éducatifs, de mes habitudes sociales. Je renoue avec mon pouvoir personnel. Certes, je ne donne plus de coups de pieds aux garçons depuis longtemps (d’ailleurs, plus aucun ne m’insulte). Mais je m’accorde le droit de dire non. De dire ce que je pense. D’être l’unique maîtresse de ma vie. Et j’ai toujours la certitude que quoi qu’il se passe, je trouverais une solution. Je me sens le droit de me faire confiance.
Voyager permet d’entretenir cet état d’esprit. Dans notre environnement habituel, nous sommes dressés à nous effacer, à mettre nos ressentis sous le tapis, à occulter nos émotions négatives. Au nom de la bienséance et du vivre-ensemble, nous nous coupons de nous-même. Et par là-même, de nos ressources intérieures. Cela finit souvent par reprendre le dessus lorsqu’on reste chez soi. Tandis que se retrouver étrangers quelque part, nous oblige à nous adapter. C’est toujours bénéfique de passer les frontières.
Nous nous retrouvons alors dans une posture d’ouverture d’esprit, et d’entière responsabilité vis-à-vis de nous-mêmes. D’où la nécessité d’accepter d’accorder sa vraie place à notre ressenti, positif ou négatif. Un jour, quelque part dans un pub en Irlande, un gars du coin m’a proposé de venir faire un tour sur son cheval. Je n’ai pas réfléchi dix secondes pour lui dire non. Je ne le sentais pas, j’ai gentiment-et fermement-décliné. Il était vexé. Je ne saurai jamais si j’ai eu raison ou tort de me méfier. Et alors ?
Depuis mes huit ans, j’ai visité d’autres contrées à pieds, en avion, en train.
Parfois seule, parfois accompagnée. Les galères sont inhérentes au voyage, qu’elles soient matérielles comme une panne de moteur ou un vol annulé, ou bien humaines comme un pépin de santé. Et chaque fois, la confrontation à l’imprévu, d’abord source de gros stress, s’est transformée en sérénité et en anecdote marrante à raconter. Oui, on trouve toujours une solution. Plus on se frotte à l’insécurité extérieure, plus on se sécurise intérieurement.
Alors vite, partez.
Perdez-vous.
Vous vous trouverez à coup sûr.
Merci à Sophie Gauthier, du blog Contentologue, de m’avoir inspiré cet article.
https://www.contentologue.com/devenir-autonome-financierement/
Vous avez aimé ce billet d’humeur? Je serai heureuse de lire vos commentaires.
N’hésitez pas à jeter un coup d’œil sur mes autres billets:
J’ai voyagé au centre de la Bretagne en m’imaginant à la place de cette petite fille et en vivant cette belle liberté.
Merci aux voyages qui nous donnent cette ouverture au monde, à l’autre, à nous-même !
Merci pour ton sympathique commentaire Katerine!
Bel article, touchant, universel et en même temps très personnel.
Merci pour ton commentaire, Rohellou. Tu es le premier lecteur de mon site, je suis heureuse de savoir que mes écrits plaisent au moins à une personne!