Hier je me baladais sur les pontons du port des Bas Sablons à Saint Malo. Giboulées et temps gris, emmitouflée dans ma doudoune j’écoutais le claquement des haubans. Des goélands racailles planaient, je me trouvais petite à hauteur de leurs yeux prédateurs. Parmi les ondes, parmi les rocs, j’étais une minuscule entité lasse, cherchant refuge auprès de l’océan berçant. Le froid cinglait. Un ferry mamouthesque appareillait pour Plymouth, et je me suis demandé quel était son port d’attache.
Mais qu’est-ce que c’est qu’un port d’attache ?
Longtemps j’ai cru connaitre le nom du mien. Persuadée qu’un jour je me poserai là, puisque j’y retournais toujours. Bien sûr j’ai embarqué pour quelques aventures, exploré deux ou trois rives tropicales, donné la béquée à ma curiosité. Il faut bien vivre et je suis de celles qui aiment découvrir. Mais je partais certaine de revenir, solide d’un lieu où j’étais appréciée. Mon port d’attache. L’endroit familier des sourires complices.
Un jour, pourtant, à mon retour l’envie m’a prise de prolonger le séjour. Parce que j’avais le temps et que l’été m’offrait ses bras. Pour profiter un peu, pour me faire une idée. Pour savoir comment c’est de poser sac à terre à durée indéterminée. Au début c’était chouette, fiesta et rigolades, pique-niques, randonnées. Des bras où se lover, des copines, du beau temps. Et puis j’ai encombré. Les uns devaient regagner le giron familial, les autres le boulot. Pas le temps, pas disponibles. J’étais devenue de trop.
Fini l’été.
Ce n’était pas la routine qui me pesait, mais le décalage entre mon idéalisation et la réalité. J’errais seule dans la ville, oisive, libre, désemparée. Est-ce donc cela se fixer ? Je me croyais bienvenue, et n’étais pour mon entourage qu’un divertissement temporaire. Le comblement d’un vide, qu’on range sitôt l’amusement épuisé. Celle qu’on vient voir quand on s’ennuie, qu’on laisse ensuite pour retourner à la vraie vie. Ce que je croyais ma base se révélait être un accueil intermittent. Toujours arrivait le moment où on me demandait de m’effacer.
Non que j’ai peine avec ma compagnie. Seule, je ne me sens pas seule. Mais cette façon de dire « Bon, il faut que je rentre, on m’attend » veut dire aussi « Toi, ne viens pas. Ta place n’est pas ici». Sensation de rejet. Je suis l’amie de passage, rien de moins, rien de plus. Mais quelle est donc la nature d’un lien ? Un port d’attache, c’est là où une place t’attend. Une place qui te convient, et qui t’es dévolue. Que tu n’as ni à disputer, ni à quémander. Jamais remise en cause, pérenne et inconditionnelle.
Je m’étais trompée de port d’attache.
Illusions de repères, certaines haltes ne sont finalement que des lieux de transit, et s’y éterniser déçoit. Ou permet de grandir?
J’ai repris mes périples, riche d’une bonne leçon de vie. Il n’est de port d’attache que ceux qu’on s’imagine comme tels. Mon voilier blanc est mon amarre, sa coque abrite ce qu’il me faut. Elle se faufile sur la houle, agile et fiable sous les tempêtes ou la pétole. Je sais régler les voiles au diapason du vent, Vénus est ma boussole et le monde ma maison.
J’ai dit adieu à mon désenchantement, et levé l’ancre à la marée montante. Peut-être un jour croiserai-je un marin aux beaux yeux, qui me dira « Viens, et vivons l’aventure ensemble. Mon port d’attache c’est toi».
Merci à Corto Maltese ( et à son créateur Hugo Pratt) de m’avoir inspiré ce post https://fr.wikipedia.org/wiki/Corto_Maltese
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