Le festival Étonnants Voyageurs aurait dû fêter ses trente ans cette année. Mais à cause du confinement, l’édition 2020 a été annulée. Par soutien, j’ai envie de vous faire découvrir cet événement littéraire dont je suis fan depuis toujours.
Étonnants Voyageurs, qu’est-ce que c’est?
Étonnants Voyageurs est un festival littéraire axé sur le voyage.
Mais qui défend avant l’idée d’une littérature « aventureuse, voyageuse, ouverte sur le monde, soucieuse de le dire » (selon les mots des fondateurs).
Ce qui signifie que vous y rencontrerez des travel writers, mais pas seulement. Beaucoup des créateurs invités sont des romanciers, des grands reporters ou des réalisateurs étrangers, dont le sujet de prédilection n’est pas forcément le voyage.
Des grands noms du polar, de la littérature blanche, de la Science Fiction, de la fantasy, et de la poésie sont également présents. Le lecteur entre par la porte du regard intime qu’ils proposent sur leur pays ou leur univers, et c’est vrai que c’est également une façon de voyager.
Un polar peut nous faire découvrir de l’intérieur la Chine, par les yeux d’un inspecteur de police amateur de gastronomie (cf « Dragon bleu, Tigre blanc » de Qiu Xiaolong). La littérature blanche nous immerge dans le Bombay des indiens, et non celui des touristes, grâce au jeune héros de Suketu Mehta (« Bombay Maximum City »).
Ce ne sont pas vraiment des récits de voyage, mais nous nous retrouvons immergés dans l’environnement des héros auxquels nous nous identifions. Et leur monde ainsi que leur mode de pensée est le notre le temps d’une lecture.
Vous trouverez donc à Étonnants Voyageurs un salon du livre, et des débats rencontres d’auteurs de grande envergure. Et aussi des projections de films documentaires ou de fiction, des expo et des animations.
Créé en 1990 par Michel Le Bris, Maëtte Chantrel et Christian Rolland, il se déroule à Saint Malo, en Bretagne, chaque weekend de Pentecôte.
Les débats, conférences et expositions sont disséminés dans plusieurs lieux de la ville, comme:
- le Palais du Grand Large, avec sa super vue sur mer lorsqu’on se trouve dans la Rotonde
- les barnums le long des quais, en face du Palais du Grand Large
- le cinéma La Grande Passerelle, situé dans la médiathèque du même nom
- certains bars d’hôtels tels que l’Univers (Intra Muros), ou Le Nouveau Monde (chaussée du Sillon)
- la Chapelle Saint Sauveur et la Maison du Québec (Intra Muros)
- Le Carré (ex Chambre de Commerce et d’Industrie, avenue Louis Martin)
Les prestations sont de très bon niveau pour qui aime la littérature, le journalisme et le voyage. Mais la beauté des lieux ajoute une dimension esthète à Étonnants Voyageurs. Ecouter des pointures de la prose, avec la mer en arrière plan, dans une chapelle réhabilitée, ou dans des salons d’hôtels hors du temps, est une expérience en soi. Saint Malo est une ville superbe, et j’avoue que sortir d’une conférence pour me retrouver face à la plage du Sillon ou aux pieds des remparts m’épate toujours.
Un peu d’histoire: comment est né Étonnants Voyageurs?
Parlons d’abord de Michel Le Bris
Michel Le Bris, le plus connus des trois fondateurs du festival, mérite à lui seul un paragraphe (et bien plus!).
Né dans la Bretagne indigente de 1944, sa brillance intellectuelle lui a permis d’intégrer HEC (pour faire plaisir à sa mère) et la Sorbonne, et d’y trouver les nourritures nécessaires à son appétit de savoir.
Figure de Mai 68, proche de Jean-Paul Sartre, il est un des cofondateurs du quotidien Libération lancé en 1973. Il a également rédigé des papiers pour le Nouvel Observateur, et publié de nombreux essais sur R.L Stevenson (l’auteur des mythiques « L’Île au Trésor » et du « Docteur Jekyll et Mister Hyde »).
Rédacteur, chroniqueur radio, critique littéraire, ce boulimique de travail a longtemps dirigé le centre culturel de l’Abbaye de Daoulas. Il y a organisé des expositions de 2000 à 2006, comme « Indiens des plaines », Pirates et flibustiers des Caraïbes », « Vaudou, le nom du monde est magie », etc.
En plus de tout cela, Michel Le Bris trouve l’énergie d’être un immense écrivain. Sa biographie L’homme aux semelles de vent, parue en 1977, est à lire absolument. Son roman La Beauté du Monde, paru en 2008, était finaliste au prix Goncourt. Et Kong, sorti en 2017, est une réussite. J’évoque ici les plus connus, mais M. Le Bris a écrit un nombre incalculable d’essais, chroniques et fictions que je vous laisse découvrir sur sa fiche mise en lien précédemment.
Pour en revenir à Étonnants Voyageurs
En 1990, Michel Le Bris venait de créer la revue Gulliver, dans laquelle il défendait une littérature aventureuse, » soucieuse de dire le monde ». A l’occasion d’une exposition sur Stevenson organisée à Saint Malo, il discute avec le maire, qui finit par lui demander s’il a des projets.
Un peu plus tard, deux amis le contactent: Maëtte Chantrel et Christian Rolland. Ils viennent du milieu de la télévision régionale, et aimeraient créer une manifestation littéraire à Rennes. Ils disposent de l’infrastructure et du savoir faire pour animer un événement, mais n’ont pas de thématique précise.
Michel Le Bris voit alors devenir faisable l’opportunité de donner corps à la vision de la « littérature-monde » qu’il défendait déjà dans Gulliver, et leur parle de sa conversation avec le maire de Saint Malo.
C’est ainsi que tout a démarré…
Au début, Étonnants Voyageurs était couplé avec un autre festival connu de Saint Malo: Quai des Bulles . Les fans de BD connaissent forcément (Je vous ai mis le lien Wikipédia car le site QDB n’est pas sécurisé).
A l’époque, Quai des Bulles jouissait déjà d’une bonne notoriété. Michel Le Bris a eu l’idée de s’y adosser pour faire découvrir son festival nouveau-né. Face à l’ampleur du succès, les organisateurs ont décidé de dissocier les dates.
Ainsi la ville de Saint Malo peut proposer un événement grand public au printemps, avec Étonnants Voyageurs lors de la Pentecôte. Et un deuxième en automne, puisque Quai des Bulles se déroule en octobre.
Que trouve-t-on à Étonnants Voyageurs?
Étonnants Voyageurs, c’est
- un salon du livre où vous pouvez acheter des montagnes de livres, tous genres confondus. Des dédicaces y sont organisées, et avec un peu de chance vous pouvez échanger quelques mots avec votre auteur fétiche. Supermarché du bouquin. Chaleur étouffante, interminables queues, baratin pro des libraires. Personnellement j’y vais le moins possible. Je réfère noter les noms des écrivains qui me marquent lors d’un débat, et me rendre plus tard, après le festival, dans une librairie pour commander leur livre. Tant pis pour les dédicaces.
- des débats et des conférences, avec des auteurs d’envergure souvent méconnus en France.
- des projections de documentaires, de reportages, de films d’animation et de fictions. Beaucoup de genres sont représentés, pas seulement le voyage. Et cette programmation est cohérente, car le vrai thème d’Étonnants Voyageurs, c’est l’Ailleurs. Une année, par exemple, la version restaurée de Dark Crystal est passée.
- des prix littéraires. Pas moins de sept, qui récompensent chaque genre: Prix Nicolas Bouvier pour les récits de voyage. Prix de l’imaginaire, des gens de mer, de la littérature-monde, de la poésie, de la jeunesse (appelé Prix Ouest-France), prix Joseph Kessel pour les journalistes. Tous reconnus dans le milieu des auteurs, car soumis au verdict de spécialistes.
- des expositions de photos et de dessins , d’artistes de renom présents sur le festival, ou en hommage posthume. Souvent scénographiées, elles valent le détour.
- des animations diverses et variées, en journée ou le soir. Concerts de piano en plein air sur le pont d’un voilier à quai, slams, soirées poésie, concerts de musique du monde…
- une ambiance géniale, où l’énergie créative est palpable. Mélange de frénésie, d’érudition, d’ouverture d’esprit, j’en reviens toujours remplie du talent des participants. Affamée de lecture et d’aventures.
Je suis allée à une bonne quinzaine d’éditions d’Étonnants Voyageurs. Parfois seulement pour une journée, parfois du vendredi au dimanche, en fonction de mes disponibilités. J’avoue avoir plusieurs fois posé des vacances exprès pour l’occasion.
J’y ai participé en bénévole et en public lambda, et à chaque fois j’ai trouvé l’expérience enthousiasmante.
Ce que j’aime à Étonnants Voyageurs
L’esprit du festival m’a plu dès le départ
Férue de récits de voyage, je reprochais à ce genre son manque de style. Trop souvent rédigés comme des enfilades de descriptions de lieux et de personnages, j’en aimais la part d’évasion, mais déplorais la fréquente platitude de la narration. Étonnants Voyageurs a balayé mes déceptions, et m’a fait découvrir tout un monde dont j’ignorais l’existence. Ainsi donc, il existait de vrais écrivains de voyage, dont la qualité de prose égalait celle des écrivains d’aventure fictive. Ma vision de la littérature voyageuse a radicalement changé.
Les débats et les conférences sont ce que je préfère dans Etonnants Voyageurs.
Surtout les cafés littéraires, où assis à un guéridon, dans la grande salle de bar du Palais du Grand Large, on peut boire un moka tout en écoutant les auteurs invités répondre aux questions de Maëtte Chantrel. J’y ai découvert une foule d’écrivains étrangers de grande envergure, connus chez eux, mais pas en France. Plus souple qu’une salle de conférence classique, car on peut aller et venir sans déranger personne, cette forme d’animation inaugurée par le trio fondateur d’E.V en 1990 a été reprise dans beaucoup de festivals depuis.
Les petits déjeuners et les apéros littéraires sont aussi un concept sympa.
Sur inscription, certains hôtels proposent de passer un moment (petit déjeuner ou apéritif, donc) avec un auteur. Tout en dégustant votre chocolat chaud ou votre chablis, vous pouvez lui poser des questions sur son œuvre, écouter ses anecdotes, en toute convivialité.
J’aime aussi le fonctionnement des demies journées thématiques.
Généralement, sur un après midi et dans la même salle, une projection est proposée, suivie d’un débat avec le réalisateur, des auteurs ou avec des personnalités en lien avec le sujet. Même sans connaitre les participants, les découvrir regroupés par ce biais est souvent pertinent puisqu’ils forment une sorte de famille d’esprit, à garder ensuite.
Quelques auteurs que j’ai découverts à Étonnants Voyageurs
Parmi les nombreux écrivains de talent découvert au fil des éditions, voici ceux qui m’ont le plus marquée. La liste est tellement fournie que je vous mets les principaux. Je vous invite à consulter le site du festival (lien en bas de cet article) pour plus d’informations.
- Nicolas Bouvier, le père du récit de voyage moderne. Auteur du célèbre « Usage du monde », il m’a fait découvrir qu’on pouvait mélanger voyage, philosophie et poésie sans que cela ne nuise au récit. Bien au contraire.
- Ella Maillart: son « Oasis interdites » est un chef d’œuvre. Elle y raconte sa traversée de l’Asie centrale, de Pékin jusqu’au Cachemire en 1935 avec son compagnon Peter Fleming (le frère de Ian, créateur de James Bond). Grande voyageuse et grande dame, Ella Maillart a eu une vie extraordinaire. Sportive de haut niveau, exploratrice, écrivain, photographe, elle est une figure des années 20 et 30, et un exemple pour les femmes. Ses récits qui racontent le « Grand Dehors » sont aussi des voyages intérieurs, c’est ce que j’apprécie particulièrement chez elle.
- Jim Harrison: connu pour être l’écrivain des grands espaces, il a beaucoup écrit sur son Michigan natal, ainsi que sur l’Arizona et le Mexique. Ses livres sont des odes à la nature, à la bonne chère, aux indiens et à la pêche à la mouche. Ce sont de vrais bols d’air dont on ressort comme après une longue promenade au milieu des éléments, reconnecté aux joies simples de la vie. Ses romans les plus connus sont « Dalva », et « Légendes d’automne ».
Petites astuces pour un festival serein
Étonnants Voyageurs draine beaucoup de monde: en moyenne 60 000 visiteurs chaque année. Autant dire qu’il est prudent de prévoir une petite organisation.
Préparation du programme
En général, avant le weekend de Pentecôte, j’imprime le programme mis en ligne sur le site. Je repère les débats et projections qui m’intéressent, et les lieux où ils se déroulent. Il faut prévoir une bonne heure de queue pour chaque événement, plus le temps de trajet pour se rendre d’une salle à l’autre. Donc parfois des choix s’imposent, pas facile…Je compose mon programme jour par jour, en gardant les expositions pour les moments de creux comme l’heure du déjeuner.
Sur place
J’arrive une grosse demie heure avant l’ouverture, et me rends à la médiathèque pour récupérer mon bracelet d’entrée pré-payé sur internet. Beaucoup moins de monde à La Grande Passerelle que dans les autres points de retrait.
L’équipement spécial Etonnants Voyageurs
Prévoyez des chaussures confortables, de type basket ou randonnée car on piétine beaucoup. Ainsi qu’un sac grand format, avec pique-nique et bouteille d’eau, pour éviter la galère de l’achat d’un repas quand c’est la ruée. Je trouve également pratique d’avoir un carnet et un stylo à portée de main pour noter les noms d’écrivains inspirants et mille infos pratiques. Les salles sont souvent surchauffées, et la météo souvent variable. L’idéal est d’opter pour des vêtements légers, plus un gilet en polaire ou un bon coupe vent, facile à enfiler et à enlever.
Ensuite il n’y a plus qu’à…
s’en mettre plein les mirettes, plein le cortex et plein les pattes, car oui, on rentre d’Étonnants Voyageurs exténué. Et émerveillé.
Voilà pour mes impressions et mes petites astuces spécial Étonnants Voyageurs. J’espère vous avoir donné envie de découvrir ce super festival. Rendez-vous pour les prochaines éditions!
Vous connaissez déjà Étonnants Voyageurs? N’hésitez pas à partager vos impressions dans les commentaires, c’est toujours un plaisir de les découvrir.
Pour plus d’info: Tout sur le festival
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Merci de m’avoir lue et à bientôt sur Walkaway.